Canal de Lachine et son corridor industriel

par Desjardins, Pauline

Canal Lachine, 2005

Le corridor formé par le canal de Lachine et ses abords a été reconnu Lieu historique national du Canada en 1996. Ce canal, inauguré en 1825, a permis d'ouvrir à la navigation la voie tumultueuse du Haut Saint-Laurent et a joué un rôle majeur dans le développement de l'Ouest du pays. De plus, sa position stratégique entre les portions est et ouest du Saint-Laurent a amené, sur ses rives, la concentration industrielle la plus diversifiée du pays. Ces éléments ont également favorisé le développement du port de Montréal, faisant de cette ville la première métropole du Canada.


Article available in English : The Lachine Canal and its Industrial Corridor

Un canal historique

De nos jours, le canal de Lachine, opéré par Parcs Canada, permet à des navires de plaisance de franchir les quelques 14 km séparant le fleuve Saint-Laurent du lac Saint-Louis. Cinq écluses servent d'ascenseur pour remonter la dénivellation de 12 à 15 m, selon les saisons. Le changement de vocation du canal, de voie navigable commerciale à voie navigable touristique, ne change cependant pas ses deux caractères principaux. Historiquement, il a tout d'abord agi comme catalyseur pour attirer les industries, puis comme stabilisateur pour y fixer une population ouvrière et urbaine. Aujourd'hui, il n'attire plus les industries, mais génère plutôt une activité touristique de plus en plus importante et une nouvelle population à la quête d'un milieu de vie unique.

 

Un lieu historique national du Canada

Le canal Lachine, vers 1850

Tout au long de son histoire, le canal de Lachine a fait couler presque autant d'encre que d'eau. Depuis les mémoires pour justifier sa construction, les transformations subséquentes et les décisions entourant sa fermeture jusqu'aux études pour sa conservation et sa réutilisation, il n'a cessé d'être un sujet très prolifique. Il faut rappeler que dès 1924, il est reconnu d'importance nationale et qu'il a été déclaré lieu historique national du Canada en 1996, en raison de sa valeur de témoignage tangible et visible de l'histoire industrielle canadienne. Sa présence est elle-même investie d'un grand potentiel pédagogique susceptible d'intéresser un large public à ce champ de l'histoire canadienne.

Les témoins de la période industrielle forment ce que l'on nomme le patrimoine industriel. Celui-ci englobe tous les aspects de l'histoire économique et sociale aussi bien que les traces matérielles comme les bâtiments, les complexes industriels, les équipements, les lieux. En effet, ce qui caractérise particulièrement le patrimoine industriel, c'est qu'au-delà du bâti, il y a la technologie, les procédés de fabrication (les machines, la matière première, les produits finis, la transmission d'énergie, etc.), les ouvriers, les patrons, le paysage. C'est la connaissance précise des processus techniques, allant de l'organisation du travail à l'aménagement des bâtiments et du site, qui permet de faire ressortir la valeur et la spécificité du patrimoine industriel. Les témoins et leurs contextes ainsi que le lieu industriel servent à mieux connaître un passé plus ou moins récent, ainsi qu'à transmettre un savoir-faire aujourd'hui disparu mais qui a contribué à forger le savoir-faire actuel.

 

Un paysage en transformation

Vue à vol d'oiseau de l'usine électrique et des rapides de Lachine

Depuis le début de sa construction, en 1821, le canal a servi d'ancrage à une transformation graduelle du paysage et de l'habitat. En effet, son tracé initial s'est dessiné en pleine zone rurale, en périphérie de la ville et des villages. Dès sa construction, les ouvriers se sont logés sur ses rives, pour ainsi former de nouveaux noyaux de peuplement. Certaines industries sont ensuite venues profiter de cette voie d'eau, entre autres pour la construction navale et l'entreposage. Graduellement, d'autres industries se sont jointes aux premières, principalement autour des écluses, pour bénéficier du pouvoir d'eau qu'offrent ces quasi-barrages. Les ouvriers s'installeront autour des usines et augmenteront les noyaux de peuplement existants, dont certains formeront de nouvelles entités municipales. Le paysage s'est donc transformé au fur et à mesure du processus d'urbanisation, jusqu'à ce qu'il ne reste à peu près plus aucun espace inoccupé à proximité du canal.

 

Une voie d'eau à la tête d'un réseau

Lachine, 1909

La nécessité de construire un canal pour franchir les rapides de Lachine (anciennement Sault Saint-Louis) a constitué une préoccupation importante dès le début de la colonisation européenne. En effet, les Sulpiciens, seigneurs de l'île de Montréal, ont planifié, dès 1680, la construction d'un canal entre Ville-Marie et Lachine en reliant les divers cours d'eau de ce secteur. Ce canal, qui aurait été le plus ancien en Amérique du Nord, n'a cependant jamais été complété, bien que d'importants tronçons aient été creusés. Il faudra attendre plus d'un siècle pour qu'un canal navigable relie Montréal à Lachine.

L'établissement du réseau de canalisation du Saint-Laurent, dont fait partie le canal de Lachine, a été initié par les militaires britanniques pour faciliter le transport des troupes et du ravitaillement vers les Grands Lacs. Cette action militaire était nécessaire pour protéger les frontières de la Province of Canada face à l'invasion américaine durant la guerre d'indépendance américaine (1775-1783), puis durant la guerre 1812-1814. La majorité des canaux sont des constructions permettant de dériver artificiellement la navigation pour éviter une dénivellation du cours d'eau naturel formant des rapides ou des chutes, nombreux sur le cours du Haut-Saint-Laurent.

Canal Lachine, Montréal

Situé à la tête du réseau de canalisation, le canal de Lachine est le premier ouvrage à ne pas avoir été construit par les militaires. Ce sont les marchands de Montréal qui ont fait les pressions nécessaires pour la construction de ce canal et pour faire accepter par la législature le projet de loi visant sa réalisation. Ces hommes d'affaires, de plus en plus nombreux en ce début du XIXe siècle, provenaient principalement de Grande-Bretagne, un pays alors en pleine révolution industrielle. Les marchands étaient aussi très au fait de l'importance des canaux comme moyens de transport puisque la Grande-Bretagne vit une véritable « canal mania » entre 1760-1840. Les marchands de Montréal ne réussirent cependant pas à réunir l'ensemble des capitaux privés nécessaires et le gouvernement du Bas-Canada dut prendre en charge la plus grande partie du financement. L'ingénieur chargé des travaux fut un Britannique dénommé Thomas Burnett (17??-1824).

Le réseau de canalisations du Saint-Laurent qui relie Montréal au Lac Ontario a connu quatre grandes phases de développement pendant lesquelles les canaux de Lachine, Beauharnois (l'ancien), Cornwall, Williamsburg et Soulanges ont été construits. C'est durant la première phase que s'effectua, entre 1815-1821, la planification puis, entre 1821-1825, la construction du canal de Lachine. La deuxième phase fut marquée par un élargissement et un réaménagement important du canal montréalais qui, entre 1843-1849, a vu sa largeur et sa profondeur pratiquement doubler, une seconde série d'écluses ayant été construites parallèlement aux premières. C'est à ce moment que fut planifié l'aménagement de lots hydrauliques, sur le modèle de la ville de Lowell (Massachusetts), en offrant l'utilisation de l'énergie hydraulique pour favoriser l'implantation industrielle.

Agrandissement du canal de Lachine: travaux aux écluses Saint-Gabriel sous la supervision de Messieurs Loss et McRae, Montréal, QC

La troisième phase d'aménagement des canaux du Saint-Laurent s'amorça avec une nouvelle transformation du canal de Lachine qui, entre 1873-1885, vit ses premières écluses remplacées par de nouvelles, plus grandes, ouvrant la voie au passage de plus gros navires : ceci permit d'accroître substantiellement le trafic maritime. On assista également à un renforcement de l'implantation industrielle et de l'urbanisation de toute la zone limitrophe. Près de 600 industries se sont établies dans le corridor du canal de Lachine entre 1840 et 1950, regroupant près du quart des artisans et ouvriers du secteur manufacturier de Montréal. En 1959, suite à l'ouverture de l'actuelle Voie Maritime du Saint-Laurent, les autorités abandonnèrent progressivement le canal de Lachine et les autres canaux du Saint-Laurent. Le canal de Lachine fut définitivement fermé à toute navigation en 1970. Cette dernière phase a entraîné une énorme transformation de l'industrie montréalaise et un éclatement des centres de production en lien avec le développement du réseau routier et l'industrie du camionnage.

 

De zone industrielle à zone touristique

Le navire de charge «Northcliffe Hall» dans l'écluse no 5, canal de Lachine, Lachine, QC, 1968

Le canal de Lachine a été ouvert à la circulation maritime pendant près de 150 ans (1825-1970). Fermé à la navigation commerciale en 1970, il est réouvert à la navigation de plaisance en 2002. Entre-temps, il a fait l'objet de divers projets d'aménagement. Une première réhabilitation a été réalisée par le ministère des Travaux publics du Canada, qui y aménage une piste cyclable dans le cadre du programme « ACTION 77 » sur le principe d'un parc urbain à caractère récréatif. La prise en charge d'une partie du canal par Parcs Canada en 1978 a par la suite permis de réaliser un grand nombre d'études historiques portant sur la canalisation, l'histoire des canaux canadiens et québécois, les structures physiques du canal de Lachine, l'industrialisation et l'urbanisation. La section en aval, qui donne sur le Vieux-Port de Montréal, avait été entièrement remblayée entre 1965 et 1967. Passée sous la responsabilité de la Société du Vieux-Port de Montréal, cette section a été déblayée et aménagée en parc urbain entre 1990 et 1992. Cette fois-ci, la vocation maritime a été retenue. Une série d'écluses (écluses 1 et 2 nord) ont été restaurées et remises en état de marche et un premier bateau a pu les franchir près de 30 ans après leur fermeture.

C'est en 1996 que le corridor du canal de Lachine est reconnu par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada (CLMHC) comme lieu historique national du Canada. Cette même commission souligne l'importance nationale du canal comme voie navigable depuis 1924. Le statut de lieu historique national lui a été conféré en tant que témoin de trois aspects importants de l'évolution historique canadienne, tel qu'énoncé dans les objectifs de commémoration :

1) « Le lieu historique national du canal-de-Lachine commémore le rôle joué par le canal de Lachine, aux XIXe et XXe siècles, à la tête d'un réseau de canaux reliant le cœur du continent à l'océan Atlantique par la voie des Grands Lacs et du Saint-Laurent.»

2) « Précurseur de la révolution des transports au Canada au début du XIXe siècle et associé à la première tentative de canalisation sous le régime français, le canal de Lachine a également joué un rôle déterminant dans le développement industriel et commercial de Montréal, entre autres comme source d'approvisionnement importante en énergie hydraulique. »

3) « Le corridor industriel du canal de Lachine témoigne des différentes phases de l'industrialisation au pays et de l'exceptionnelle diversité de la production manufacturière que l'on retrouve sur ses rives. À ce titre, il rappelle qu'il fut l'un des principaux centres de production manufacturière au Canada depuis les débuts de l'industrialisation au milieu du XIXe siècle jusqu'à la Deuxième Guerre Mondiale. »

La restauration du reste du canal depuis le Vieux-Port jusqu'à Lachine a été réalisée par Parcs Canada entre 2000 et 2002 : par conséquent, le canal est aujourd'hui navigable sur son ensemble.

Depuis la réouverture du canal à la navigation de plaisance, d'abord au niveau des écluses 1 et 2 du Vieux-Port de Montréal en 1992, puis des écluses 3 à 5 en 2002, le visage du corridor ne cesse de changer. Parcs Canada y organise plusieurs activités qui permettent de le découvrir autant dans sa réalité actuelle que dans sa réalité historique.

 

L'avenir du canal de Lachine

Bateau «Daniel McAllister» amarré au Canal Lachine, Montréal, 2008

La reconnaissance en tant que lieu historique national du Canada du canal de Lachine se voulait une protection de son caractère distinctif ainsi qu'un agent de stimulation pour la mise en valeur de l'histoire industrielle du corridor. Toutefois malgré les efforts déployés par les institutions fédérales et par la Ville de Montréal, ce haut lieu de l'industrie manufacturière fait face aujourd'hui à une vague de développement qui menace les fonctions industrielles restantes et qui met en péril la sauvegarde des vestiges significatifs contribuant à la lecture et à la compréhension du paysage historique. D'autres efforts devront être faits pour mieux faire connaître et surtout protéger cet important patrimoine industriel canadien.

 

Pauline Desjardins, Ph.D.

 


Bibliographie

Desjardins, Pauline, « Navigation and Waterpower : Adaptation and Technology on Canadian Canals », IA, The Journal of the Society for Industrial Archeology [en ligne], vol. 29, no 1, 2003, http://www.historycooperative.org/journals/sia/29.1/desjardins.html, consulté le 18 novembre 2009.

Desjardins, Pauline, L'organisation spatiale du corridor du canal de Lachine au XIXe siècle, Québec, Association des archéologues du Québec, 2006, 235 p.

Desloges, Yvon, et Alain Gelly, Le canal de Lachine : du tumulte des flots à l'essor industriel et urbain, 1860-1950, Sillery (Qc), Septentrion, 2002, 216 p.

« Dossier : Un patrimoine du progrès », Continuité, no 96, printemps 2003, p. 20-49.

La glace surprend les navires [en ligne], narration de Gaétan Montreuil, Montréal, Office national du film du Canada, 1959, http://onf-nfb.gc.ca/fra/collection/film/?id=2574.

Parcs Canada, Énoncé d'intégrité commémorative : lieu historique national du Canal-de-Lachine, Montréal, Parcs Canada, Unité de gestion de Montréal, 1997, 62 p. + fig.

Parcs Canada, « Lieu historique national du Canal-de-Lachine », Lieux historiques nationaux du Canada [en ligne], http://www.pc.gc.ca/fra/lhn-nhs/qc/canallachine/index.aspx.

 

Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés

Vidéo
  • Le canal de Lachine (Film muet) Ce film présente des images de l’activité maritime et industrielle sur le canal de Lachine avant qu’on le ferme définitivement à la navigation commerciale en 1970. Plusieurs usines situées en bordure du canal ont alors fermé leurs portes. À partir de 1978, Parcs Canada entreprend de restaurer des écluses et de réaménager le canal qui est réouvert à la navigation de plaisance et devient un parc urbain.
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    Durée : 3 min 45 sec
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